Les droits pécuniaires des biologistes doivent-ils être proportionnés au capital détenu dans une SEL?

Certains professionnels de la biologie médicale s’interrogent afin de savoir dans quelle mesure la loi du 30 mai 2013 portant réforme de la biologie médicale1, en ce qu’elle impose aux biologistes médicaux associés professionnels exerçant au sein d’une société d’exercice libéral (SEL) d’en détenir plus de la moitié du capital social et des droits de vote, interdirait de conférer plus de la moitié des droits dans les bénéfices à d’autres associés.

L’article 10 de la loi du 30 mai 2013 aédicté de nouvelles règles de détention du capital des SEL de biologistes médicaux et a créé un nouvel article L. 6223-8 dans le Code de la santé publique dont le premier alinéa énonce :

« Le premier alinéa de l’article 5-1 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales n’est pas applicable aux sociétés d’exercice libéral de biologistes médicaux.»

Cette disposition consacre un retour à l’état du droit antérieur à la loi MURCEF du 11 décembre 2001 qui a inséré l’article 5-1 dans la loi du 31 décembre 1990 sur les SEL.

L’article 5-1 prévoit en effet une dérogation au principe posé par l’article 5 de la même loi selon lequel plus de la moitié du capital social et des droits de vote d’une SEL doit être détenue par des professionnels en exercice au sein de la société.

En application de cet article 5-1, plus de la moitié du capital d’une SEL debiologistes médicaux pouvait être valablement détenue par une autre SEL debiologistes médicauxou des biologistes n’exerçantpas dans lapremière SEL dès lors que les biologistes associés professionnels au sein de cette SEL conservaient ensemble plus de la moitié des droits de vote.

Cette faculté est désormais fermée à la profession de biologiste médical, le législateur entendant freiner la financiarisation de la profession, si l’on se réfère à la lecture des travaux parlementaires.

Pour autant, si l’article L. 6223-8 du Code de la santé publiqueapour effet d’imposer aux biologistes associés professionnels en exercice au sein d’une SEL la détention de plus de la moitié de son capital social, ce texte ne déroge pas au principe du droit des sociétés selon lequel la clef de répartition des bénéfices peut être librement aménagée entre les associés. A cet effet, il convient de rappeler que l’article 1844-1 du Code civil, qui figure parmi les dispositions générales applicables à toutes les sociétés, dispose :

«La part de chaque associé dans les bénéfices et sa contribution aux pertes se déterminent à proportion de sa part dans le capital social et la part de l’associé qui n’a apporté que son industrie est égale à celle de l’associé qui a le moins apporté, le tout sauf clause contraire. Toutefois, la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l’exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes sont réputées non écrites.»

Si le premier alinéa de l’article 1844-1 du Code civil érige en principe la proportionnalité des droits dans les bénéfices à la quotité de capital détenue par un associé, il peut être dérogé à ce principe par la stipulation d’une clause contraire.

En conséquence, les statuts d’une société peuvent valablement prévoir que les bénéfices ne seront pas répartis entre les associés proportionnellement à leurs droits dans le capital.

Cet aménagement conventionnel de la clef de répartition des bénéfices entre les associés peut être toutefois légalement limité; c’est ainsi que le second alinéa de l’article 1844-1 du Code civil fait obstacle à la stipulation de clauses léonines qui pourraient notamment priver un ou plusieurs associés de tout droit aux bénéfices.

Ceci étant rappelé, il serait erroné de considérer que l’article L. 6223-8 du Code de la santé publique limiterait l’application à une SEL de biologistes médicaux des dispositions générales du premier alinéa de l’article 1844-1 du Code civil, en ce qu’il imposerait à ses associés professionnels en exercice de détenir ensemble plus de la moitié des droits dans les bénéfices.

Il convient en effet d’opérer la distinction entre, d’une part, les parts sociales ou les actions qui composent le capital social d’une société et dont sont propriétaires des associés ou des actionnaires et, d’autre part, les droits et prérogatives conférés à certains d’entre eux ou encore attachés à une ou plusieurs catégorie(s) de droits sociaux.

C’est notamment la raison pour laquelle les statuts d’une SEL de biologistes médicaux peuvent valablement prévoir un avantage particulier –de nature pécuniaire ou autre –attribué à un associé ou un groupe d’associés dès lors que les associés professionnels en exercice au sein de la SEL de biologistes médicaux conservent ensemble plus de la moitié du capital social et des droits de vote.

A titre d’exemple, ces statuts pourraient stipuler, sans contrevenir aux dispositions de la loi du 31 décembre 1990 sur les sociétés d’exercice libéral2, un avantage particulier conféré personnellement à un associé personne morale et lui permettant de percevoir 60 % des dividendes distribués, tout en ne détenant que 40 % du capital social…

Dans le même ordre d’idée, s’il est indiscutable que la création d’actions de préférence dans une SEL –et, singulièrement, dans une SEL de biologistes médicaux –ne peut faire obstacle à l’application des règles légales de répartition du capital et des droits de vote3, aucune disposition n’interdit la création d’actions de préférence représentatives d’une certaine quotité du capital social et assorties de droits pécuniaires particuliers (dividendes préciputaires, cumulatifs, majorés, etc.)non proportionnés à la quotité de capital social détenue.

L’article L. 6223-8 du Code de la santé publique n’a évidemment pas pour effet d’écarter la possibilité de créer des actions de préférence dans les SEL de biologistes médicaux, mais la création de cette catégorie d’actions ne doit simplement pas permettre à d’autres associés que ceux qui y exercent leur activité professionnelle de détenir plus de la moitié du capital social et des droits de vote.

La combinaison des dispositions législatives en vigueur autorise ainsi la création d’actions de préférences permettant à leurs titulaires de détenir une large majorité des droits dits financiers ou économiques (il s’agit principalement des droits aux dividendes) d’une SEL de biologistes médicaux, alors même que ces actions ne représenteraient ensemble, à titre d’exemple, pas plus du quart du capital social de la société.

En outre, ces actions de préférences pourraient être indifféremment détenues par des associés exerçant leur activité professionnelle au sein de la SEL de biologistes médicaux ou d’autres associés.

Il convient simplement de rappeler que les actions de préférences qui s’apparenteraient à des actions à dividende prioritaire sans droit de vote ne pourraient être détenues par des associés exerçant leur activité professionnelle au sein de la SEL de biologistes médicaux.

Cette interdiction est édictée parla loi sur les sociétés d’exercice libéral4 et procède de l’idée selon laquelle des professionnels libéraux exerçant leur activité professionnelle au sein d’une SEL ne peuvent être privés de leurs droits de vote, peu important alors que cette privation soit compensée par des droits pécuniaires privilégiés attachés auxdites actions.

Compte tenu de ce qui précède, on ne peut que constater la souplesse qui préside à l’aménagement des droits pécuniaires dans une SEL de biologistes médicaux, qu’elle se manifeste par l’attribution d’avantages particuliers à une catégorie d’associés ou d’actionnaires, ou par les droits notamment conférés aux titulaires d’actions de préférence.

Cette liberté contractuelle trouve sa limite dans les règles légales de répartition du capital et des droits de vote des SEL de biologistes médicaux, lesquelles n’interdisent aucunement de déroger au principe de proportionnalité entre capital social et droits pécuniaires.

En tant que de besoin, il est par ailleurs rappelé qu’une SEL de biologistes médicaux ayant adoptée la forme de SELARL pourrait elle-même émettre des parts privilégiées qui, sans pour autant revêtir la forme d’actions de préférence, conféreraient certains avantages –notamment pécuniaires –aux associés qui en sont titulaires…


1. Loi n° 2013-442 du 30 mai 2013 portant réforme de la biologie médicale, publiée au JORF n° 0124 du 31 mai 2013. (Retour au texte 1)
2. Article 5 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales : « Plus de la moitié du capital social et des droits de vote doit être détenue, directement ou par l’intermédiaire des sociétés mentionnées au 4° ci-dessous, par des professionnels en exercice au sein de la société… ». (Retour au texte 2)
3. Article 9 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 : « … Les droits particuliers attachés aux actions de préférence mentionnées à l’article L. 228-11 du code de commerce ne peuvent faire obstacle ni à l’application des règles de répartition du capital et des droits de vote… ». (Retour au texte 3)
4. Article 9 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 : « Les actions à dividende prioritaire sans droit de vote existantes au jour de l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004 portant réforme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales et extension à l’outre-mer de dispositions ayant modifié la législation commerciale ou créées en application de l’article L. 228-29-8 du code de commerce ne peuvent être détenues par des professionnels exerçant leur activité au sein de la société… ». (Retour au texte 4)