Les statuts prévalent-ils sur le pacte d’associés ?
Dans un arrêt du 18 septembre 2024 (n° 22-23.075), la chambre commerciale de la Cour de cassation a indiqué que la révocation d’un dirigeant de société par actions simplifiée (SAS) décidée par les associés, en contravention avec les dispositions d’un pacte d’associés, justifiait leur condamnation à des dommages-intérêts.
La révocation du président de la société était en l’espèce intervenue sans décision du comité exécutif de la société, alors même que celle-ci s’avérait nécessaire en application des dispositions d’un pacte d’associés.
Pour leur défense, les associés condamnés rappelaient notamment qu’il convenait de se référer aux statuts de la société, pour apprécier les conditions et modalités de révocation et de nomination des dirigeants sociaux, conformément aux prescriptions légales (articles L. 227-5 et L.227-6 du Code de commerce concernant les SAS).
Cet argument n’a pas été retenu, et la question de la primauté des statuts sur les dispositions extrastatutaires d’un pacte d’associés peut être soulevée, qu’il s’agisse d’une SAS ou de toute autre forme sociale.
1. Prévalence statutaire
Il est fréquemment considéré que les statuts d’une société prévalent sur tout autre accord extrastatutaire convenu entre ses associés.
Cette primauté statutaire résulterait d’une hiérarchie selon laquelle le contrat de société se situerait au sommet des normes conventionnelles applicables entre les associés d’une société, et les conventions extrastatutaires passées entre eux devraient nécessairement s’y conformer.
Compte tenu de leur caractère infrastatutaire, les dispositions d’un pacte d’associés seraient ainsi subordonnées à celles des statuts de la société.
En réalité, la doctrine et la jurisprudence s’accordent aujourd’hui majoritairement pour énoncer que la prévalence statutaire peut être tempérée, dans une certaine mesure, par la volonté des associés.
2. Liberté contractuelle
La limite de la prévalence statutaire apparaît justifiée par l’application des règles du droit commun des contrats, en vertu desquelles les associés peuvent, par convention extrastatutaire, préciser ou compléter les statuts, voire y déroger, dans la mesure où les statuts ont eux-mêmes une nature contractuelle.
C’est donc en application du principe de la liberté contractuelle et de la force obligatoire des contrats que les associés disposent de la faculté, par un accord extrastatutaire temporaire et spécifique, d’adopter des clauses et mécanismes dérogatoires au contrat de société.
3. Dérogation unanime
La validité de la dérogation conventionnelle aux statuts d’une société est néanmoins subordonnée à l’accord unanime des associés.
En effet, et contrairement à l’adoption d’une décision collective des associés modifiant les statuts, qui doit obéir aux règles de majorité statutaires, la convention extrastatutaire dérogatoire impose que tous les associés y consentent, puisqu’il s’agit de modifier le contrat de société par un autre contrat.
4. Impérativité statutaire
Si la convention dérogatoire extrastatutaire est bien conclue par tous les associés, encore faut-il qu’elle puisse s’articuler avec certaines règles statutaires dont le caractère impératif résulte de la loi.
A cet égard, s’agissant spécialement des SAS et par application combinée des articles L. 227-1 et L. 227-5 du Code de commerce, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que ce sont les statuts qui fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée – et notamment les modalités de révocation d’un directeur général – et, consécutivement, que les actes extrastatutaires peuvent compléter les statuts mais ne peuvent y déroger.
C’est l’argumentation qui était retenue par les associés condamnés dans l’arrêt du 18 septembre 2024 : seuls les statuts d’une SAS doivent fixer les conditions dans lesquelles la société est dirigée, et cette primauté des statuts sur toute autre convention extrastatutaire en matière d’organisation de la direction de la société constitue une règle impérative à laquelle il ne peut être dérogé.
Pour autant, il n’apparaît pas interdit aux associés d’une SAS de préciser ou compléter, dans une convention extrastatutaire, les dispositions impératives des statuts relatives à l’organisation et au fonctionnement de la direction.
Dans cette hypothèse, et en l’absence de contradiction entre dispositions statutaires et extrastatutaires, la liberté conventionnelle des associés demeure assez large.
Si les statuts eux-mêmes prévoient le renvoi à un pacte ou une convention extrastatutaire, afin non seulement de préciser les dispositions statutaires concernant la direction de la SAS mais encore d’y déroger, les associés peuvent alors valablement conclure une convention dérogatoire extrastatutaire sans contrevenir aux règles impératives édictées par la loi.
5. Supplétivité statutaire
A l’inverse, lorsque la loi n’impose pas une règle statutaire dans un domaine particulier (et notamment celui de l’organisation de la direction de la société, de la détermination des décisions relevant de la compétence des associés, de la stipulation d’une clause l’exclusion, etc.), les dispositions non impératives des statuts peuvent être considérées comme supplétives, c’est-à-dire auxquelles il peut être dérogé.
Dans ce cas, les associés sont libres non seulement de préciser et compléter les statuts dans un acte ou une convention extrastatutaire, mais encore d’y déroger pourvu que cela soit unanimement convenu.
6. Articulation conventionnelle
A titre général, les associés disposent d’une assez grande liberté pour organiser les règles statutaires et extrastatutaires qui leur sont applicables.
Il convient néanmoins de veiller à la parfaite articulation de ces dispositions conventionnelles, tant en évitant les contradictions entre statuts et conventions extrastatutaires qu’en ne contrevenant pas au caractère impératif de certaines dispositions statutaires.
Retrouvez l’arrêt complet : https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000050290458?init=true&page=1&query=22-23.075&searchField=ALL&tab_selection=all