Vétérinaires et autres professions de santé : quels impacts après les arrêts du Conseil d’Etat du 10 juillet 2023 ?

A la suite de quatre arrêts du Conseil d’Etat le 10 juillet 2023, le contrôle effectif des sociétés d’exercice de vétérinaires a été placé au cœur des discussions de ces derniers mois.

Le 10 juillet 2023, la 4ème et la 1ère chambre du Conseil d’Etat réunies ont rendu quatre arrêts concernant des sociétés d’exercice vétérinaire appartenant à des grands réseaux (442911, 452448, 448133, 445961) à la suite de plusieurs années de procédures administratives.

Si ces décisions ont eu un tel retentissement, c’est notamment parce que la position du Conseil d’Etat était largement attendue et que les conclusions qui peuvent en être tirées concernent plus largement tous les professionnels libéraux, et pas seulement les vétérinaires.

Les sociétés d’exercice vétérinaire appartenant aux groupes AniCura, IVC Evidensia et MonVeto visées par ces quatre arrêts ont vu les décisions de radiation rendues par l’Ordre des vétérinaires confirmées.

Dans son communiqué de presse du 28 septembre 2023, l’Ordre des vétérinaires a indiqué reprendre toutes les procédures en cours pendantes devant sa juridiction et notifier aux sociétés concernées les radiations administratives prononcées, sans attendre l’issue des pourvois formés.

De très nombreuses cliniques ou cabinets vétérinaires français étant concernés par cette mesure, une procédure de conciliation a été initiée le 9 octobre devant le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire entre l’Ordre national des vétérinaires, le SNVEL (Syndicat National des Vétérinaires d’Exercice Libéral) et les réseaux concernés par ces procédures afin d’arrêter une méthodologie permettant la mise en conformité de ces sociétés d’exercice vétérinaire.

Durant cette période, l’Ordre des vétérinaires a décidé de sursoir à la mise en application des procédures de radiation des sociétés concernées.

Trois thématiques ressortent de ces décisions :

  • Le contrôle effectif des sociétés d’exercice par les vétérinaires
  • Les professions interdites
  • Le nombre de vétérinaires associés par DPE

L’article L. 241-17 du Code rural et de la pêche maritime (CRPM) dispose que la majorité du capital et des droits de vote des sociétés d’exercice vétérinaire doit être détenue par des associés vétérinaires en exercice.

L’Ordre des vétérinaires et le Conseil d’Etat précisent que ces derniers doivent donc en avoir le contrôle effectif, tant à travers de leurs statuts que des dispositions extrastatutaires qui peuvent exister.

Si les dispositifs visés dans les statuts ou les conventions extrastatutaires sont valables en droit commun des sociétés, la combinaison de certains mécanismes a poussé le Conseil d’Etat à considérer que les vétérinaires étaient privés du contrôle effectif des sociétés d’exercice mises en cause. Le Conseil d’Etat vise notamment les dispositifs suivants :

  • les règles de quorum et/ou de majorité en assemblée générale ne permettant pas aux vétérinaires de prendre seuls des décisions sans l’accord de l’associé investisseur ;
  • la signature de promesses unilatérales de cession des titres du vétérinaire consenties au profit de l’associé investisseur, permettant le rachat à tout moment de ses actions ;
  • la mise en place de comités/conseils (d’administration, de surveillance ou autres) composés de 3 membres dont seul un membre était désigné par les vétérinaires et dont les pouvoirs comprennent notamment la prise de décisions « structurantes pour l’avenir de la société, le choix des investissements ou la création ou la suppression d’un poste de vétérinaire» ;

Toutefois, le rapporteur public a précisé dans ses conclusions que certains mécanismes, selon lui, ne démontraient pas l’influence de l’associé investisseur sur le contrôle de la société d’exercice, notamment :

  • la répartition inégalitaire des droits financiers de la société d’exercice ;
  • la détention par tous les associés vétérinaires en exercice d’une seule action par voie de prêt de consommation à partir du moment où le solde des actions d’exercice est détenu par un vétérinaire.

La détention, directe ou indirecte, de titres de capital d’une société d’exercice de vétérinaires est interdite aux professions suivantes selon les dispositions de l’article L. 241-17 II 2° du CRPM :

« a) Aux personnes physiques ou morales qui, n’exerçant pas la profession de vétérinaire, fournissent des services, produits ou matériels utilisés à l’occasion de l’exercice professionnel vétérinaire ;

 b) Aux personnes physiques ou morales exerçant, à titre professionnel ou conformément à leur objet social, une activité d’élevage, de production ou de cession, à titre gratuit ou onéreux, d’animaux ou de transformation des produits animaux »

Or certains groupes de vétérinaires internationaux réalisent une part significative de leur chiffre d’affaires dans la vente d’aliments (au titre d’une branche d’activité distincte).

Si l’Ordre des vétérinaires considérait que ces groupes avaient donc dans leur capital des « professions interdites », le Conseil d’Etat est venu préciser que les actionnaires indirects d’une personne morale exerçant une profession interdite peuvent détenir des titres d’une société vétérinaire à condition qu’aucun lien d’influence ne soit démontré.

Ainsi une société holding peut valablement détenir (i) des titres dans une société exerçant une profession interdite et (ii) des titres dans une société d’exercice vétérinaire, si aucun lien d’influence n’existe entre ces sociétés sœurs.

Selon l’article R. 242-53 du CRPM, tout vétérinaire inscrit à l’Ordre et en exercice (personne physique ou personne morale) doit avoir au moins un DPE (domicile professionnel d’exercice) et peut en avoir plusieurs.

Le Conseil d’Etat complète ces dispositions et confirme une règle tacite selon laquelle chaque DPE doit être géré par un vétérinaire associé en exercice qui y exerce, a minima, à temps partiel.

Il considère que déléguer de façon permanente la gestion d’un DPE à un vétérinaire salarié ou un collaborateur libéral contrevient aux dispositions de l’article R. 242-66 du CRPM relatif à l’interdiction de faire gérer son DPE.

 

Le 8 décembre, le ministère de l’Agriculture a annoncé dans son communiqué de presse qu’après 5 semaines d’échanges et de réunions de concertation, une doctrine validée par les différentes parties avait pu être établie.

« Cette doctrine comprend 25 points de conseils et recommandations pour, d’une part, garantir la possibilité aux vétérinaires associés qui sont majoritaires d’assurer le contrôle effectif de leurs sociétés et, d’autre part, encadrer l’exercice effectif de la profession de ces vétérinaires associés dans chaque domicile professionnel d’exercice. »

Dès lors, les groupes de sociétés d’exercice vétérinaire disposent de 3 mois pour mettre leurs documents statutaires et extrastatutaires en conformité avec cette doctrine, étant précisé que cette doctrine vise tous les groupes de vétérinaires, et pas seulement ceux concernés par les décisions du Conseil d’Etat.

Sur les distributions de dividendes, il convient d’éviter toute stipulation par laquelle les associés s’engagent à voter favorablement toute distribution, à moins que le montant des investissements soit significativement élevé pendant l’année considérée en proportion du chiffre d’affaires.

A ce titre, il est rappelé que la répartition inégalitaire des bénéfices entre les associés vétérinaire et l’investisseur n’affecte pas l’indépendance professionnelle, sous réserve des clauses léonines.

Sur les majorités en assemblée d’associés, la doctrine rappelle que les décisions habituellement prises à la majorité ordinaire en droit commun des sociétés ne peuvent l’être à une majorité renforcée ou avec un droit de véto de l’investisseur. Les décisions importantes relatives au budget, aux mandataires sociaux ou aux contrats conclus par la société pour une longue durée ne sauraient faire l’objet d’une minorité de blocage par l’investisseur.

Toutefois, les décisions suivantes pourront requérir l’accord de l’investisseur : modification des statuts, opérations de croissance externe ou ayant un impact sur le capital ou l’endettement de la société, augmentation significative de la masse des rémunérations, mise en place ou remboursement d’un endettement.

Également, les clauses prévoyant une double majorité des vétérinaires associés et des deux-tiers des associés en cas d’agrément devraient être évitées.

Sur la constitution d’un comité composé de vétérinaires, la doctrine considère qu’un comité de vétérinaires devrait être constitué afin de permettre aux vétérinaires de se concerter préalablement aux propositions soumises à l’assemblée des associés, notamment sur les décisions exigeant le vote favorable de l’investisseur.

Les membres de ce comité seraient élus par les vétérinaires associés permettant d’organiser les « conditions de l’exercice de leur contrôle effectif et de leur indépendance professionnelle ».

Sur la composition des comités de surveillance ou direction, la doctrine recommande qu’au moins la moitié de ses membres soit des vétérinaires associés en exercice au sein de la société.

Sur les promesses de cession et d’achat des actions détenues par les associés en exercice, la doctrine considère qu’il ne devrait pas être prévu de promesse permettant à l’investisseur de prendre seul la décision de lever la promesse. Cette levée de promesse devrait être limitée aux cas d’interdiction d’exercer de plus de 6 mois, d’incapacité d’exercice de longue durée ou de cessation d’activité du vétérinaire.

Sur les obligations de sortie conjointe, c’est-à-dire lorsqu’un tiers formule une offre sur 100% du capital ou des droits financiers de la société, la doctrine considère qu’elles ne peuvent s’appliquer aux vétérinaires.

Sur la qualité d’associé et le statut de salarié, la doctrine rappelle les arrêts du Conseil d’Etat desquels il ne ressort pas que la qualité d’associé serait incompatible avec celle de salarié.

Sur l’exercice au minimum à temps partiel dans chaque DPE, la doctrine rappelle que :

  • l’exigence de l’exercice par un associé de son activité au moins à temps partiel dans le DPE est indépendante de la quotité de capital détenue ; ces vétérinaires responsables de DPE peuvent bénéficier de prêt de consommation d’actions ; la détention d’un faible nombre d’actions n’exonère en rien des obligations et responsabilité d’associé ;
  • il est attendu du responsable du DPE une contribution effective au service de clientèle et la coordination de l’application des dispositions relatives à l’exercice vétérinaire. Sur ce point, l’Ordre, le SNVEL et les groupes devraient en préciser les notions lors de discussions ultérieures ;
  • la durée minimale d’exercice dans le DPE doit s’entendre de 3 demi-journées par semaine (appréciée par trimestre en dehors des périodes de congés), à adapter en fonction de l’importance du DPE.

En tout état de cause, la portée des décisions du Conseil d’Etat et de cette doctrine sera bien plus large que le secteur vétérinaire et impactera nécessairement toutes les professions de la santé.