Ordonnance du 8 février 2023 relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées : quelles nouveautés pour les professions de santé ?

L’ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées a été adoptée sur habilitation législative, avec pour ambition de regrouper dans un même texte les dispositions diverses régissant l’exercice en société des professionnels libéraux et de leur donner ainsi une meilleure lisibilité.

Il faut reconnaître que la coexistence de différents textes particuliers applicables à chaque profession concernée, obligeant à conjuguer dispositions spéciales et droit général des sociétés, ne facilite pas la compréhension des praticiens ni la tâche de leurs conseils.

Ajoutons à cela une série de mesures règlementaires prises en application de ces dispositions légales éparses, contrariant parfois leur esprit, et le risque de confusion s’accroît un peu plus.

C’est ainsi que l’ordonnance – qui n’entrera en vigueur qu’à compter du 1er septembre 2024 – refond notamment, sans les révolutionner, les dispositions applicables aux sociétés civiles professionnelles (SCP) et aux sociétés d’exercice libéral (SEL) tout en abrogeant corrélativement les lois[1] qui régissaient ces sociétés.

L’ordonnance organise les règles applicables autour de trois grandes familles de professions libérales réglementées dont elle définit par ailleurs la notion dans son premier article : ces professions « …groupent les personnes exerçant à titre habituel, de manière indépendante et sous leur responsabilité, une activité ayant pour objet d’assurer, dans l’intérêt du client, du patient et du public, des prestations mises en œuvre au moyen de qualifications professionnelles appropriées. »

Sont visées :

 les professions de santé ;

  • les professions juridiques ou judiciaires ;
  • les professions techniques et du cadre de vie réunissant les autres professions libérales réglementées.

Il importe de préciser que de nombreuses dispositions de l’ordonnance sont soumises à des décrets d’application dont les dates de parution ne sont pas connues.

Les principales mesures ci-après synthétisées sont celles intéressant notamment les professions de santé.

Professionnel exerçant

L’ordonnance précise qu’il faut entendre « …par professionnel exerçant la personne physique ayant qualité pour exercer sa profession ou son ministère, enregistrée en France conformément aux textes qui réglementent la profession, et qui réalise de façon indépendante des actes relevant de sa profession ou de son ministère. »

Cette précision est opportune dans la mesure où l’ordonnance, qui reprend en grande partie les dispositions de la loi de 1990 sur les SEL, confère aux seuls professionnels exerçants des prérogatives particulières dans certains domaines (agrément d’associés, conventions sur les conditions d’exercice) ou leur impose – s’agissant des professions de santé – une détention majoritaire du capital et/ou des droits de vote.

Sociétés civiles professionnelles

Peu de changements s’agissant de l’exercice sous forme de SCP, dont le capital social doit toujours être détenu par des personnes physiques exerçant la même profession (contrairement aux sociétés en participation qui peuvent être désormais constituées entre personnes physiques ou morales exerçant une ou des professions libérales réglementées).

Les SCP doivent comporter au moins deux associés, et restent globalement soumises aux dispositions qui figuraient dans la loi de 1966 sur les SCP, avec quelques aménagements marginaux relatifs à la majorité requise en matière de transformation en sociétés d’une autre forme.

Sociétés d’exercice libéral

Un chapitre de l’ordonnance sur les dispositions communes aux SEL (articles 40 à 67 de l’ordonnance) précède les dispositions particulières applicables aux SEL des professions de santé (articles 68 à 79 de l’ordonnance).

Au titre des dispositions communes :

  • les différentes formes de SEL subsistent : SELARL, SELAS, SELAFA, SELCA ;
  • au moins un professionnel exerçant doit être associé de la SEL directement, ou par l’intermédiaire d’une société de participations financières de profession libérale (SPFPL) ;
  • les obligations annuelles d’information et de communication aux ordres professionnels sont renforcées : sont visés l’état de la composition du capital social et des droits de vote, les statuts à jour et les conventions contenant des clauses portant sur l’organisation et les pouvoirs des organes de direction, d’administration ou de surveillance ayant fait l’objet d’une modification au cours de l’exercice écoulé ;
  • des décrets doivent préciser les conditions d’application des dispositions de l’ordonnance sur les SEL, et pourront notamment prévoir (comme c’est le cas aujourd’hui pour les professions de santé) des cas où un associé peut être exclu de la SEL ainsi qu’une limitation au cumul des formes d’exploitation (SEL, SCP, entreprise individuelle).

S’agissant de la détention du capital et des droits de vote, et comme cela était déjà le cas dans la loi de 1990, un principe demeure (articles 46 et 47 de l’ordonnance) :

  • plus de la moitié du capital social et des droits de vote de la SEL doit être détenue, soit directement, soit par l’intermédiaire d’une SPFPL, par des professionnels exerçant au sein de la société ;
  • le complément du capital social et des droits de vote peut être détenu par (i) d’autres personnes physique ou morales exerçant la profession, (ii) des personnes physiques qui, ayant cessé toute activité professionnelle, ont exercé la profession dans la SEL, (iii) les ayants droits de celles-ci, (iv) une SPFPL, (v) des personnes exerçant une profession libérale réglementée de la même famille que celle mentionnée dans l’objet social de la SEL et (vi) des personnes européennes dont l’activité constitue l’objet social de la SEL.

Les mandataires sociaux des SEL (gérants, présidents, directeurs généraux) doivent toujours être désignés parmi les associés exerçant leur activité au sein de la SEL.

L’ordonnance prévoit désormais la possibilité d’insérer dans les statuts des SEL des clauses organisant les modalités du retrait des associés ; cette faculté permet de rapprocher la situation des associés de SEL de la situation des associés de SCP, lesquels bénéficient d’une possibilité de retrait, alors même que les statuts ne la prévoiraient pas.

Au titre des dispositions propres aux professions de santé :

Une dérogation au principe de la détention du capital et des droits de vote énoncé ci-dessus est prévue pour les professions de santé (article 69).

C’est ainsi que plus de la moitié du capital social de la SEL – mais pas des droits de vote, contrairement à ce que laisseraient penser certains commentaires de l’ordonnance – peut aussi être détenue :

  • par tout professionnel exerçant la profession constituant l’objet social de la société ou par toute personne morale (une autre SEL par exemple) exerçant l’objet social de la société ;
  • par des SPFPL, à condition que la majorité du capital et des droits de vote de celles-ci soit détenue par tout professionnel exerçant la profession constituant l’objet social de la SEL ou par toute personne morale ou par une personne européenne, exerçant la profession constituant l’objet social de la SEL.

L’ordonnance apporte une précision importante s’agissant de cette dérogation : des décrets pourront écarter son application « …afin de tenir compte des nécessités propres à chaque profession et dans la mesure nécessaire au bon exercice de la profession concernée, au respect de l’indépendance de ses membres ou de ses règles déontologiques propres. »

Il est probable que certaines professions de santé ne puissent bénéficier de cette dérogation et que les professionnels exerçants concernés doivent consécutivement détenir ensemble plus de la moitié du capital social et des droits de vote de la SEL.

Cette situation est celle déjà connue au sein des SEL de pharmaciens d’officine ou de biologistes médicaux, puisque le Code de la santé publique ne leur permet pas de bénéficier d’une telle dérogation, contrairement à d’autres professions de santé.

Par ailleurs, la question sensible de l’ouverture du capital des SEL des professions de santé à des « tiers » (c’est-à-dire à des personnes physiques ou morales autres que celles mentionnées ci-dessus, et visées aux articles 46, 47 et 69 de l’ordonnance) est traitée à l’article 70 de l’ordonnance.

La lecture de cet article laisse entrevoir une fenêtre de liberté qui sera, à n’en pas douter, rapidement refermée pour certaines professions de santé ; en effet, il est prévu qu’une part demeurant inférieure à la moitié du capital social des SELARL, SELAS et SELAFA puisse être détenue par ces tiers, à condition qu’ils ne détiennent individuellement une part n’excédant pas le quart du capital social.

En l’état, l’ordonnance semble consacrer le principe d’une ouverture du capital aux tiers plus large que celle qui existe actuellement dans la loi de 1990, dont l’article 6 prévoit notamment que dans les SEL « …ayant pour objet l’exercice d’une profession de santé, la part du capital pouvant être détenue par toute personne [les tiers] ne peut dépasser le quart de celui-ci… ».

Afin de tenir compte des nécessités propres à chaque profession, cette ouverture du capital aux tiers est néanmoins subordonnée à la parution de décrets, et il ne serait pas étonnant que les règles actuelles applicables en la matière ne soient pas assouplies (pour mémoire : capital fermé dans les SEL de pharmaciens d’officine ou de chirurgiens-dentistes, ouverture à concurrence du quart du capital dans SEL de biologistes médicaux ou de médecins).

Comme c’est le cas aujourd’hui pour certaines professions de santé, l’ordonnance prévoit également que des décrets pourront limiter le nombre de SEL dans lesquelles une même personne physique ou morale peut prendre des participations, directes ou indirectes.

Enfin, les dispositions spéciales préexistantes relatives à l’agrément des cessions de parts sociales ou d’actions de SEL de professions de santé sont reprises par l’ordonnance, et prévoient toujours le vote des seuls professionnels exerçants (« vote par tête ») lors des assemblées d’associés réunies pour statuer sur un tel agrément.

Dans les SELAS, l’agrément est donné par les associés exerçant leur activité au sein de la société à la majorité des deux-tiers, laquelle est portée à trois-quarts des associés exerçant la profession dans les SELARL.

Sociétés de participations financières de professions libérales

Les dispositions applicables aux SPFPL constituées par des professions de santé sont peu modifiées par l’ordonnance.

Il faut notamment retenir que :

  • leur objet est élargi, puisqu’en plus de détenir des parts ou des actions de sociétés d’exercice et de groupements de droit étranger, ayant eux-mêmes pour objet l’exercice d’une ou plusieurs professions libérales réglementées, les SPFPL pourront détenir, gérer et administrer tous biens et droits immobiliers et fournir des prestations de services sous réserve que ces activités soient destinées exclusivement au fonctionnement des sociétés ou groupements dans lesquels elles détiennent des participations ;
  • dans l’hypothèse où leur objet viendrait à ne plus être rempli, les SPFPL disposeraient d’un délai fixé par décret pour se remettre en conformité avec cet objet, avant que la dissolution ne soit encourue ;
  • une communication annuelle, à l’ordre professionnel auprès duquel chaque SPFPL est inscrite, devra concerner l’état de la composition de son capital social et des droits de vote afférents, ainsi qu’une version à jour de ses statuts, et les conventions contenant des clauses portant sur l’organisation et les pouvoirs des organes de direction, d’administration ou de surveillance ayant fait l’objet d’une modification au cours de l’exercice écoulé ;
  • plus de la moitié du capital et des droits de vote doit être détenue par des personnes, y compris des personnes européennes, qui exercent l’une des professions exercées par la ou les sociétés faisant l’objet d’une prise de participation ;
  • les gérants des SPFPL à responsabilité limitée sont des professionnels exerçants réalisant leur activité au sein de la ou des sociétés dans lesquelles la société de participations financières de professions libérales détient des participations ;
  • le président et les dirigeants des SPFPL par actions simplifiées sont des professionnels exerçants réalisant leur activité au sein de la société ou des sociétés dans lesquelles la SPFPL détient des participations.

Ces deux dernières dispositions semblent moins anodines qu’il n’y paraît, puisqu’elles imposent des règles de gouvernance plus strictes que celles qui existent actuellement, et que leur application pourrait donner lieu à différentes interprétations.

 

[1] Loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles et loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales.