Sociétés en formation : revirement de jurisprudence de la Cour de cassation

Le 29 novembre 2023, la Cour de cassation[1] a opéré un changement significatif dans sa jurisprudence concernant les sociétés en formation. Désormais, une fois immatriculée, une société peut reprendre un acte s’il est établi que la commune intention des parties était de la conclure « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation, que cela soit expressément mentionné ou non.

Jusqu’à présent, la jurisprudence était constante pour affirmer que seuls les engagements expressément souscrits « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation pouvaient être repris par la société après son immatriculation, et que les actes passés « par » la société étaient nuls, même si l’intention des parties était que l’acte soit accompli « au nom » ou « pour le compte » de la société.[2]

La Cour de Cassation considérait comme insuffisantes les mentions indiquant que la société était « en cours d’enregistrement » ou « en cours d’immatriculation » pour établir que l’acte avait été réalisé « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation.[3]

Cette jurisprudence avait pour but d’assurer la sécurité juridique et de garantir :

  • d’un côté, la protection du tiers cocontractant en attirant son attention sur la possibilité d’une substitution automatique et rétroactive de débiteur à l’avenir ;
  • de l’autre, la personne qui accomplissait l’acte « au nom » ou « pour le compte » de la société, en lui faisant prendre conscience qu’elle s’engageait personnellement et resterait tenue en l’absence de reprise.

Dès lors, les engagements contractés directement par la société étaient considérés comme non valides, car ils étaient conclus par une société dépourvue d’une personnalité juridique.

La société, ainsi que la personne agissant en son nom, n’étaient pas soumises à l’obligation de prendre en charge l’exécution de l’acte. En revanche, dans le cas d’un acte valable mais non repris, la personne qui agissait « au nom » ou « pour le compte » de la société se trouvait liée, créant ainsi une opportunité pour certaines parties de se libérer de leurs engagements

Cette pratique avait pour effet d’affaiblir les entreprises lors de leur lancement sous forme sociale, plutôt que de les protéger. De plus, elle ne procurait pas une protection suffisante aux tiers cocontractants qui, en cas d’annulation de l’acte, se retrouvaient sans aucun débiteur.

Revirement de jurisprudence de la Cour de cassation

La reprise d’un acte par une société est dorénavant envisageable lorsque l’on peut établir que les parties avaient l’intention commune de le conclure « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation, sans nécessiter expressément une telle mention.

Cette décision est un revirement, car elle vient assouplir les règles formelles liées à la reprise des actes.Haut du formulaire

Cependant, la procédure de reprise demeure inchangée et doit être réalisée de l’une des façons suivantes :

  • Résulter de la signature des statuts ;
  • Emerger d’un mandat préalable à l’immatriculation de la société, déterminant la nature ainsi que les modalités des engagements à prendre ;
  • Être issue d’une décision prise à la majorité des associés après l’immatriculation de la société ;

toute reprise implicite étant exclue.

En tout état de cause, le juge a pouvoir de déterminer, en examinant toutes les circonstances, si la volonté partagée des parties était que l’acte soit conclu « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation.

[1] Cass. com. 29-11-2023 n° 22-12.865 FS-BR, Cass. com. 29-11-2023 n° 22-18.295 FS-BR, Cass. com. 29-11-2023 n° 22-21.623 FS-BR.

[2] Cass. com. 22-5-2001 n° 98-19.742, Cass. com. 21-2-2012 n° 10-27.630 F-PB, Cass. com. 13-11-2013 n° 12-26.158 F-D, Cass. com. 11-6-2013 n° 11-27.356 F-D, Cass. com. 10-3-2021 n° 19-15.618

[3] Cass. com. 13-11-2013 n° 12-26.158 F-D précité ; Cass. 3e civ. 22-3-1995 n° 93-11.981 D